Alors que je faisais mes impôts, mes comptes, les soustractions des moins-values de mes investissements en crypto-monnaies, les additions de l’inflation, et que j’envoyais le tout via lettre piégée aux autorités, je dus me rendre à l’évidence : il allait me falloir plus d’argent pour m'acquitter de ma dîme, puisque sans madame je vivais désormais, et que mes centres de coûts n’étaient plus divisés par deux, mais par un. Donc multipliés par 2.
Je repensai alors à la fameuse citation de Nicolas Sarkozy “Travailler plus pour gagner plus” et me jetai sur mon ordinateur afin de faire la recherche Google suivante : “Comment travailler pareil pour gagner beaucoup plus ?” Nicolas Sarkozy n’était en effet pas mon auteur préféré.
Et là, j’ai atterri sur un article qui parlait d’un nouveau métier qui pouvait rapporter 300 000 euros par an : le métier de prompt engineer. En français ça donne Ingénieur en Demandes et c’est vrai que ça claque un peu moins. Un prompt engineer, c’est quelqu’un ou quelqu’une qui parle avec l’Intelligence Artificielle afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles. L’article disait “Une journée de travail typique consiste à rédiger des prompts - donc des demandes- pour les Intelligences Artificielles génératives comme ChatGPT.” Et si t’as pas entendu parler de ChatGPT ces 6 derniers mois, je te confisque ton téléphone Be Bop. Toucher 300 000 balles par an pour écrire des conneries, tu penses bien que j’ai entamé ma reconversion sur le champ. J’ai racheté un Bescherelle, et j’ai affiché fièrement sur Linkedin les notes que j’avais obtenues au bac français, 16 et 20. J’ai un peu menti mais personne ne va me jeter la pierre parce que j’ai menti sur Linkedin, hein. J’ai fait comme avec mes centres de coûts, j’ai tout multiplié par 2.
Pour celles et ceux qui n’ont pas encore utilisé une Intelligence Artificielle, ça se présente un peu comme Google, sauf que tu peux la tutoyer. Et tutoyer l’intelligence, c’est un sacré privilège.
Et qu’au lieu d’avoir des pages et des pages de résultats, t’as juste des phrases qui se forment, lettre par lettre, un peu comme si un stagiaire entrait des sous-titres en direct, pendant que tu regardes ta série préférée. On dirait une machine à écrire. T’imagines Ernest Hemingway devant sa Remington portable qui écrit : “Salut, écris-moi une histoire d’un grand-père et d’une grand-mère” et les touches se mettent à bouger toutes seules et pondent “Le vieil homme et la mer”. Parce que même à l’époque, les intelligences artificielles, elles auraient pas été totalement au point. Donc Ernest, il aurait fallu qu’il embauche une Ingénieure en Demandes, qu’il la paye 300 000 pour qu’elle lui rédige le prompt parfait. Un truc du genre “Écris moi une histoire dans laquelle on comprend le combat de l’homme face à la Nature. Utilise un vieux pêcheur cubain qui part en bateau en quête de sa plus grosse prise pour illustrer ce combat. Ajoute un petit garçon qui se lie d’amitié avec le vieux, et fais-moi tout ça en 128 pages.” Et hop, 300 000 euros par an. Et un livre culte à l’arrivée. Ce qui expliquerait qu’on peut signer un chef d'œuvre même en étant rond comme une queue de pelle. Les Beatles se seraient aussi beaucoup amusés avec la machine à écrire intelligente. Ils auraient balancé des mots au hasard en étant défoncés, genre “jaune”, “livre”, “marin” et se seraient retrouvés avec les paroles de Yellow Submarine. C’était toujours pas super au point.
L’article disait aussi que l’idéal pour être Ingénieur en Demandes était d’avoir une compréhension nuancée du langage humain, mais aussi une compréhension de la façon dont ce langage pourrait être interprété par un ordinateur. Comme j’ai un Bac +6 en communication, je me suis lancé. Oui, j’ai multiplié par deux.
Voici ce que j’ai donc demandé à ChatGPT:
J’ai réussi à saouler une intelligence artificielle, je pense que je peux passer par la case départ et toucher 300,000. Voyons ce qu’il nous dit à jeun.
Donc en fait quand il est bourré, il rajoute des lettres aux mots ChatGPT ? Je vois pas tellement de différence avec les humains. Pas sûr de me faire embaucher en tant que prompt engineer moi.
J’ai testé la même demande sur Bard, l’Intelligence Artificielle de Google. Réponse : “En un mot, le sens de la vie, c'est le but.
C'est la raison pour laquelle nous sommes ici, ce qui nous motive et donne un sens à notre vie. Il peut s'agir de n'importe quoi, fonder une famille ou changer dans le monde. Il appartient à chacun de trouver son propre but, mais une fois qu'il l'a trouvé, il peut lui donner un sentiment de direction et d'accomplissement.”
J’ai envie de dire “attention à la forme mon grand, j’ai demandé un seul mot et tu me fais une phrase et un paragraphe”.
Déterminé et motivé par l’appât du gain, je fis un tour chez Bing, le moteur de recherche de Microsoft que personne n’utilise, qui a intégré une intelligence artificielle faite par ChatGPT dans Edge, le browser que personne n’utilise, mais disponible uniquement aux États-Unis, ce pays dans lequel plus un seul être intelligent n’habite.
Lui m’a carrément dit : “Le sens de la vie est une question philosophique qui a été débattue tout au long de l'histoire. Il est subjectif et peut varier d'une personne à l'autre. Dans ce contexte, un être humain pourrait dire que le sens de la vie pourrait être décrit en un mot comme "bonheur", "amour", "but" ou "accomplissement". Qu'en pensez-vous ?”
Ce à quoi j’ai répondu : “je pense que ça fait plus qu’un mot”
Réponse de l’effronté :
“Oui, le sens de la vie est une question complexe et profondément personnelle qui ne peut être résumée en un seul mot. Les gens ont des croyances et des valeurs différentes qui façonnent leur compréhension du sens de la vie. Certains trouvent un sens à leurs relations, d'autres à leurs réalisations personnelles ou à l'impact positif qu'ils peuvent avoir sur le monde. Selon vous, qu'est-ce qui donne un sens à la vie ?”
Une réponse qui se termine par une question, mais on se croirait chez le psy, ma parole. Je lui ai demandé combien je lui devais. Elle m’a répondu : “trois cent mille”.